Dommage, chômeur on aurait dit un métier, comme inspecteur ou instituteur, ou même directeur, chômer serait fonctionnel et actif, alors qu’on est « au chômage » ou « sans-emploi » comme en rodage, sans-domicile ou sans-papiers, dans un mode victime et passif. Ce qui est proprement ridicule car finalement chômeur est vraiment un métier, c’est un métier de veilleur et de chasseur, dont l’objectif est de survivre dans une société chère et riche qui joue un double jeu : d’un coté elle veut vous éliminer de ses chiffres car ça fait politiquement désordre - c’est l’objectif des élus- de l’autre coté elle entretien soigneusement votre créneau de déchet patenté car ça fait gagner beaucoup d’argent aux entreprises qui licencient et aux actionnaires qui mettent la pression.

Placez-vous donc aujourd'hui dans la peau d’un chercheur d’emploi (comme un chercheur d’or), cinq minutes. Rédiger un CV, une lettre de motivations, éplucher les petites annonces. Prendre rendez-vous avec les institutions : l’anpe, l’apec, l’assedic. La queue au guichet, le ticket, et puis l’effet Brazil qui vous occupe des journées entières. La confrontation avec le mépris royal de l’employé Anpe (notez bien ici ce n'est pas un travailleur, c’est un employé, il a un emploi et non un travail, le nanti). Une fois réglée la question des mille paperasses que l’ex-employeur a inévitablement mal remplies, une fois réglée la question de l’indemnité d’assurance chômage réduite à 57 % du revenu précédent sans que vous n’ayez jamais été jamais été consulté ni sur le montant ni sur le taux de cotisation, ni sur la durée de la couverture laquelle est actuellement réduite pour tout le monde à 23 mois ; vous voilà donc à demander humblement un peu d’aide pour, admettons, retrouver un emploi. Et là, à nouveau, le jeu du marketing politique, la langue de bois en première langue, lue, écrite, parlée, virale.

Le Conseiller (ici encore, les conseilleurs ne sont pas les payeurs) va vous sortir en deux phrases-clefs l’énormité du jeu de rôle institutionnel et socio-professionnel : « votre emploi relève d’un marché caché, il vous faut activer les réseaux professionnels et personnels pour faire émerger le besoin non défini »… Traduisons : personne ne vous demande, aucune petite annonce ne correspond à ce que vous recherchez ou même à ce que vous savez faire, donc votre marché (les offres d’emploi qui VOUS concernent) est caché. Faites donc du lobbying (activer les réseaux) avec vos amis – « allô, tous mes amis, je suis au chômage et pestiférée, je vous demande de me trouver un emploi » - nous voilà au cœur des recettes des écoles de commerce et de marketing, ce sont vos recettes, celles de l’entreprise, on prend les mêmes et on recommence. Remerciez les institutions pour cet appui psychologique à votre recherche d’emploi et à votre condition de chômeur en offre de services, remerciez-les car ils vous donnent en tant que chômeur plus de boulot qu’ils n’en auront jamais eux-même derrière leur guichet et leur base de données.

Maintenant, admettons, vous avez trouvé un marché caché en faisant du lobbying perso. Parlons de la lettre de motivation. «Bonjour, je suis motivée pour travailler avec vous. » Pas assez convaincant, et pourtant que dire d’autre. La vérité toute nue, c’est pas vendeur :« je veux travailler pour gagner des sous car si j’en avais pas besoin je ferais du bénévolat de la peinture de la flûte traversière et des voyages humanitaires à longueur d’année ou peut-être je resterais au lit à regarder la télé ». Ben non, en vrai je suis juste motivée pour retrouver mes revenus à 100% et plus même si c’est possible, pour consommer la même chose que vous voire mieux, avoir une voiture potable un toit acceptable, payer des vacances au soleil et gâter mes gosses. Voilà qui n’est pas politiquement correct. Dommage je n’ai pas d’autre motivation : votre boîte fait la même chose que les autres, vos cadres ont fait les mêmes écoles et tiennent le même discours, mon avenir est réduit à la seule précarité des ambitions de vos actionnaires en quête de dividendes rapides, de vos retours sur investissements et des lois du marché sur lequel vous voulez diversifier.

D’ailleurs la lettre de motivation devrait être écrite par le recruteur : je sous-signée entreprise machin déclare être très motivée pour intégrer une personne compétente car sans elle notre entreprise ne survivrait pas et nos actionnaires nous couperaient les vivres. Maos dans cet exercice de la motivation écrite, la plus fielleuse des hypocrisies flagorneuses est de mise : « j’adôôôre ce que vous faites, vous êtes ô entreprise le giron idéal pour mon épanouissement personnel je m’identifie totalement à votre marque à votre produit à vos barbies du marketing à vos MBA en costumes gris à votre siège social en verre et en béton à vos voitures turbo-injectées à vos téléphones portables multimédia à votre plan de communication plurimédia à vos incentives dans la foret de Rambouillet à vos stratégies à l’international, vous et moi ne faisons qu’un grand tout qualitatif au service de la plus noble cause, nous sommes la société de demain celle qui avance et qui fait progresser l’humanité dans le total respect des lois du marché. » Un discours win-win (gagnant-gagnant) voila qui vend, si t’es pas dans cette négo passe ton chemin.

Mentez-leur. Pour séduire, pour convaincre, pour se vendre, pour s’intégrer dans l’image que se fait d’elle-même l’entreprise qui recrute, point n’est besoin de réelles compétences, de bonnes pratiques, d’expérience ou même de diplômes validés en bonne et due forme. Ce qu’ils veulent c’est que vous ressembliez à l’idée qu’ils se font d’eux-mêmes, de leur rôle et de leur mission sacrée. Mentez-leur. Inventez le CV idéal du profil idéal.

Tout est virtuel laissez tomber votre pauvre réalité, vos faits et gestes votre réalité. Mettez-vous cinq minutes dans la peau du type qui doit embaucher, s’il veut un commerçant inventez-vous commerçant, s’il veut un technicien inventez-vous des pratiques techniques, pas trop éloignées de celles qu’il veut mais suffisamment pour qu’on vous accorde le temps d’adaptation nécessaire à l’apprentissage d’autres techniques ce que vous ferez de toutes façons. S’il veut de la matière grise, inventez-vous des publications, des concepts, des recherches, des séjours en R&D, cherchez-les dans un Google, plutôt dans un autre pays pour rendre une aléatoire vérification improbable, et copiez-collez. Surtout, oubliez le mythe du connard qui s’est fait tout seul. Plus personne n’y croit et pour cause, celui-là se retrouve tout seul et ce qui compte c’est les réseaux, surtout pas les solos. Maintenant si vous cherchez du boulot dans les institutions, notez que vos compétences n’ont que très peu d’importance face au poids de vos pistons, vos élus, vos liens de parentés, vos appuis politiques et votre sens inné bien sûr de la diplomatie et des jeux de rôle systémiques.

Mon conseil, offreur de services : reste le plus éloigné possible de ta réalité, colle à la leur.